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Réussir pour qui, Pourquoi?

Réussir pour qui? Un texte de Bernard Rivière inspirant à souhait qui fait réfléchir et remet les choses en perspective. Si vous êtes présentement entrain de vous interroger sur le sens de votre vie, je vous invite fortement à lire ce qui suit. Ce texte ne pourra faire autrement que de vous renvoyer à l’essentiel.

Bonne lecture!

Fondement de la carriérologie et conception de l’homme

Je suis particulièrement préoccupé par des questions qui touchent les principes, les fondements et le choix de valeurs qui sous-tendent un projet de vie. De ce fait, ma réflexion en ce qui concerne se fonde sur une conception de l’homme qui va plus loin que la simple question de son intégration dans un espace professionnel/social.  L’analyse du rôle, de la nature, de la place de l’individu en relation avec ce que l’on nomme une croissance personnelle par le biais d’un projet de vie par extension renvoie implicitement et explicitement à divers enjeux quant au développement de la personne et quant à sa finalité.  Il faut être vigilant, vis-à-vis, une éducation dite orientante et envers les finalités que l’économie, par le biais du marché du travail, impose à l’individu en regard de son insertion socio/professionnelle. Il s’agit ainsi, de mettre l’accent sur une analyse critique permettant de mettre à jour les propositions idéologiques de la réussite qui masquent des déterminations socio-économiques dont les intérêts échappent aux citoyens

Devenir quelqu’un au prix de sa propre réalisation

En ce qui concerne cette conférence, ma première inclination du moins, fut de penser à livrer les résultats de mes recherches… Mais une parole intérieure me disait : As-tu vraiment envie de faire cela…? Est-ce que cela a du sens ? Est-ce cohérent avec le thème de la Semaine ? Oui, réussir pour qui et pourquoi ? Cette question nous ramène à soi. Sommes-nous entrain de réussir notre vie ? Notre vie a-t-elle un sens? Se pencher sur sa propre réussite n’est pas évident. Je repensais à certains étudiants rencontrés en counseling qui voulaient en particulier devenir Quelqu’un. J’ai repensé à mon rythme de travail actuel. À ma famille, à mes enfants ? Qu’est-ce que réussir ? Parler de réussite, n’est guère évident. Une bonne façon d’éluder la question serait de l’intellectualiser, la rationaliser : quelles sont les causes de la réussite ? Quels sont les barèmes de la réussite ?  Quelles sont les conditions de la réussite ?  Quelle est la situation de la réussite ?  Combien de personnes sont en situation de réussite ?  La réussite a-t-elle un sexe ?  La réussite a-t-elle un genre ?  À quel âge survient la réussite ?  De quelle profession découle la réussite ? De quelle nationalité est la réussite ? Combien gagne la personne qui réussit?  Parler de réussite renvoie à notre quotidien, à notre intimité, à notre vie de tous les jours, à notre façon d’être en contact.  La réussite en ce sens participe de plusieurs dimensions  : affectives, intellectuelles, corporelles, et matérielles.

Le désir des autres

Depuis notre enfance, nous sommes bombardés par les désirs des autres, par le goût des autres, les goûts à la mode, ce qui fait tendance, l’air du temps, les croyances imposées, les intégrismes de tout acabit. En tant que psychologue et conseiller d’orientation, je crois qu’un bon nombre de pathologies, viennent de notre soumission aux désirs des autres, une soumission qui s’encre dès l’enfance.  Tout petit, on apprend que pour conserver nos liens avec ceux qu’on aime ou de qui l’on dépend, on doit consentir à leurs désirs, lesquels peuvent dans certains cas aller jusqu’à l’abus. Mon but, ici, n’est pas de faire un exposé sur les pathologies familiales mais, de démontrer qu’à force de consentir aux désirs des autres, on finit par ne plus se sentir soi-même, se perdre de vue, être à côté de ses souliers.

Être ou avoir

Être à côté de ses souliers, c’est quelquefois être atteint par le syndrome de la médaille d’or, vouloir monter sur le podium, rouler en Porsche, c’est sortir avec la plus jolie de la classe, avec l’homme le plus riche ou celui ou celle qui va nous procurer le plus d’excitation, ou cartes de visites.  Je l’aime parce qu’il a un loft, un bateau, un avion, parce qu’il a du pouvoir, il a de l’argent même si cet être, est incapable de tendresse ou d’intimité. Il veut du ‹‹ cash ›› et pourra me mettre à l’abri des vicissitudes existentielles et hélas aussi à l’abri de découvrir qui je suis et aussi l’abri du risque de réaliser mes propres désirs.  Ou encore, il faut que je sorte avec Natacha parce qu’elle est très en vue et ce faisant, j’aurai l’admiration des copains. Dans cette optique, il faut donc se trouver un travail, une carrière qui puisse nous procurer tel ou tel objet.  Alors, on se dit : ‹‹si je veux de la considération, de l’amour, de l’estime, il faut que je fasse ceci ou cela, il faut que je devienne ceci et l’on décide de devenir important pour les autres, de se forcer pour les autres, pour certains faire un Ph.D. être en représentation dans divers colloques»

Pour tout ça, on fait du temps supplémentaire, on mange vite, on court, on baise sans aimer, on travaille à temps plein tout en étudiant, les études deviennent plus un effort d’organisation que d’érudition et un bon jour on s’aperçoit que l’on gagne sa vie sans trop savoir laquelle.

Qu’est ce que réussir?

Alors qu’est-ce que réussir? Amélie Poulain réussit-elle mieux sa vie que Mme Thatcher ? Madame Dumouchel de la 7ième avenue qui a élevé seule ses 5 enfants, a-t-elle moins bien réussie sa vie que Monty qui gagne plusieurs millions par années ou Brad Pitt ou Céline Dion?  Pour beaucoup réussir sa vie, c’est devenir riche, être puissant, pouvoir acheter sans calculer.  La réussite alors se conjugue plus avec le verbe avoir qu’avec que le verbe être.  Pour certain, il est bien d’être important alors qu’il serait important avant tout d’être bien.  Au plan clinique, je peux vous dire que plusieurs ont des échecs parce qu’ils cherchent la réussite à n’importe quel prix, au détriment des autres aussi.  Réussir fait partie de la rectitude politique actuelle.  À l’époque de la performance, de l’excellence, ne pas réussir s’associe au manque d’aptitude, au manque de volonté, au manque de colonne vertébrale.  Alors, je continue à donner l’image de la réussite, le couple réussi, le célibataire réussi, le professionnel réussi.  Je me dois de jouer le héros ou rien ne m’atteint.  Je veux bien paraître.  Je m’efforce d’être le parent parfait, l’amant parfait, le petit garçon parfait, la petite fille parfaite, la femme parfaite, le mari parfait, comme dans le film American Beauty.  Pas trop d’émotions, pas trop de risques, prudence, logique, rationalité et bien parlé.  Plus je réussis, plus je me perds de vue.  À force de faire semblant, je deviens quelqu’un d’autre et un jour, je suis comme ce vieux professeur du film de Bergman, qui au moment de recevoir les honneurs d’une carrière bien remplie s’aperçoit qu’il n’a pas pris le temps de cueillir les fraises sauvages et à sa mort, il se dit que sa vie fut un grand bien perdu, parce qu’il ne l’a pas eue comme il l’aurait voulue.  Il fut comme ce vieil intellectuel du livre d’Hermann Hesse, Le loup des steppes, à qui une jeune femme, dit : “et depuis toutes ces années, vous n’avez jamais pris le temps de danser”.  Cela me fait aussi penser aussi au film Passage, où l’on demande si vous aviez un souvenir à apporter pour l’éternité que serait-il ? Je vous recommande cet exercice…  Nous sommes dans une société impitoyable où ne pas réussir est suspect comme demander de l’aide est synonyme de faiblesse et de dysfonction.  Se réussir soi semble moins important que les performances tapageuses et les succès spectaculaires.  Il semble qu’actuellement l’atteinte d’un idéal spirituel, éthique, culturel et social importe moins que les performances exprimées en termes d’argent, de prestige ou de pouvoir. Au plan international, cela correspond à la destruction des peuples, au saccage de la planète.  On confond réussite et richesse.  Les jeunes sont aux prises avec ce genre de représentations. Lorsque j’étais conseiller d’orientation, plusieurs me demandaient la liste des métiers rares et payants, devenir : riche et célèbre, travailler pour la croisière s’amuse, devenir un espion comme James Bond, devenir champion de skate, devenir vedette de cinéma, etc.  

Ainsi l’échec souscrit à des représentations de la réussite qui ne sont pas les nôtres. 

Je fus religiologue, coopérant, célibataire, psychologue, professeur, je me suis marié quelques fois sans signer de papier. Je connais l’Amérique, l’Europe, l’Afrique et Rimouski… J’ai publié quelques livres. J’ai eu mes quinze minutes de gloire : journaux, télévision. Prix de la ministre de l’éducation, Prix de l’Ordre et pourtant je tournais à l’intérieur de moi, je m’enlisais dans des champs de ruine, je ne parvenais pas à sortir. Le temps passait, je le perdais. Et moi, toujours à errer entre les décombres de mes vieilles croyances, les décombres du sexe, du social. Et par chance, je tombe gravement malade : Insuffisance rénale sévère, quinze heures par semaine en dyalise, regarder son sang tourner 78 fois dans la machine, s’apercevoir qu’aucune de nos médaille ne me permet d’avoir plus de considération que les plus jeunes de la salle. Que les trois lettres au bout de mon nom n’a aucune signification ici. Alors me vient cette pensée : quand on est pas assez, on est souvent de trop, mais la suffisance n’est pas une solution. La maladie est une bonne boussole. Il en est de bonnes et de moins bonnes, une Glomérulonéphrite est une bonne boussole avec elle, le temps devient incertain, maintenant on calcule mieux, je me rends compte que l’argent : peut acheter une maison, mais pas un foyer; peut acheter un lit, mais pas le sommeil; peut acheter une horloge, mais pas le temps : peut acheter un livre, mais pas la connaissance ; peut acheter une position, mais pas le respect, peut acheter du sexe, mais pas l’amour, peut acheter un I Pad, mais pas la l’intimité, peut payer le médecin, mais pas la santé, peut acheter du sang, mais pas la vie. Alors trouver un nouveau sens, un projet de vie, je voyage autour de ma chaise. Comment vivre, malgré la maladie. Je ne crois plus à ce rein, je me décourage, sans le savoir je déprime, je n’apporte plus mon télé avertisseur avec moi. Je le laisse négligemment dans la voiture.

Et puis le téléphone sonne, un rein providentiel. Je pleure. Je ne veux plus gaspiller mes heures, je n’y arrive pas toujours, j’aimerai aller plus droit, mais je prends encore des chemins de traverse

Aujourd’hui, je me questionne sur ma réussite ce qui nous ramène à l’essentiel. Je voudrais me rappeler de tout et pourtant j’ai la mémoire courte. Il faut encore que je me méfie de mon moi-même.

Alors, bien me nourrir, bien me reposer, bien me loger, me sentir en sécurité, avoir des liens significatifs suffit. Je poursuis ma légende personnelle Au delà de moi, je suis à l’écoute de l’autre. Trop longtemps, je me suis laisse pervertir par l’envie,  mes souffrances narcissiques, le prestige des autres, de tel ou tel service, dans tel ou tel produit, de telle université, la réussite peut être une randonnée, une collection de timbres, une activité de bricolage, une sortie de pêche, du bénévolat, un engagement collectif.

Wilhem Reich disait : ‹‹ Tu es grand petit homme quand tu exerces amoureusement ton métier, quand tu t’adonnes avec joie à la décoration, à ton activité de semeur, tu es grand quand tu trouves ton plaisir dans le ciel bleu, dans le chevreuil, dans la rosée, dans la musique, dans la danse, dans tes enfants qui grandissent… (Écoute petit homme, Payot, p.150).

Bref, la réussite est tout ce qui contribue à un épanouissement personnel et idéalement vers un engagement collectif.

L’important, c’est de trouver un lieu de réalisation et je crois que cet objectif dure toute la vie. Sur le plan collectif, cela devient un principe écologique,  c’est être du côté de la qualité de la vie, être du côté de la vie.

Aussi comme l’exprimait très bien Bruno Bettelheim sur le sens du travail :

“ Le choix d’un travail ne devrait pas être dû à la commodité, au hasard, à l’opportunisme mais, résulter, de la conception que nous avons de notre épanouissement individuel dans le monde actuel, afin que le produit de notre activité, tout en étant objectivement utile, exprime également notre idéal personnel” 

L’auteur :

Bernard Rivière est professeur de counseling dans les programmes du baccalauréat de développement de carrière et de la maîtrise en carriérologie à l’Université du Québec à Montréal.  Au plan de la recherche, il s’intéresse particulièrement aux représentations sociales de la réussite et aux problématiques du décrochage et de l’insertion socioprofessionnelle chez les jeunes. Il est directeur du programme de premier cycle en développement de carrière.

Bernard Rivière

Département des sciences de l’éducation

Université du Québec à Montréal

Case postale 8888, succursale Centre-Ville

Montréal (Québec) Canada H3C 3P8

tél. :(514)987-3000(3871), télécopieur (514)987-4608

Courriel : riviere.bernard@uqam.ca

Références :

Bettelheim B. (1977) Le cœur conscient, Paris : Livre de poche, p 28

Reich W. (1975) Écoute petit homme, Paris : Payot, p.150 

Rivière, B., Jacques, J. (2001) Les jeunes et leurs représentations sociales de la réussite. In Lebrun M. (dir.) Les représentations sociales. Des méthodes de recherche aux problèmes de société.  Montréal : Logiques p.339-359

Rivière, B. (2002) Les jeunes et leurs représentations sociales de la réussite. Outremont : Logiques


Julie Després, Conseillère en gestion de carrière julie.despres@cjecc.org | www.cjecc.org 8500, Boulevard Henri-Bourassa | Québec, QC | G1G 5X1 Téléphone: 418.623.3300 | Télécopieur: 418.623.3340


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